Bretagne réunifiée : à quoi ressembleraient les Pays de la Loire sans Loire-Atlantique ?
La question demeure secondaire dans le débat sur la Bretagne à cinq départements. Dans cette hypothèse, il faudra pourtant statuer sur le sort des quatre départements restants : Vendée, Maine-et-Loire, Sarthe et Mayenne (2,3 millions d’habitants). Des scénarios de rattachement aux régions voisines circulent. L’hypothèse de ce « démembrement » reste critiquée. Cinquième épisode de notre série sur la réunification de la Bretagne.
Le pont de Saint-Nazaire, le plus long de France, enjambe l’estuaire de la Loire au niveau de Saint-Brévin-les-Pins. | ARCHIVES
Si le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne est attendu comme une radieuse perspective côté breton, elle tournerait, chez les voisins ligériens, à un vrai casse-tête. Pour une raison essentielle : le poids écrasant de Nantes et de la Loire-Atlantique, qui représentent à elles seules 37 % des 3,787 millions d’habitants des Pays de la Loire, pour ne parler que des indicateurs démographiques. Quid du sort de la Vendée, de la Mayenne, du Maine-et-Loire et de la Sarthe, dans un territoire devenu exsangue ?
« Ils pourraient en principe en droit, continuer de former une région, répond le politologue nantais Arnauld Leclerc. Mais en termes de population, d’économie, la région serait exceptionnellement faible. On a cherché à faire de grandes régions, à tort ou à raison peu importe d’ailleurs, mais on aurait là une totale exception. Je doute de la viabilité, à long terme, d’un ensemble restreint à quatre départements, dans lequel il manquerait le plus lourd et, géographiquement, celui qui fait le lien avec les autres. »
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
« Je peux comprendre, poursuit l’universitaire, la revendication de la prise en compte d’une culture, pour qu’elle bénéficie d’une plus grande reconnaissance par les institutions, c’est tout à fait normal. De là à vouloir reformer une grande région, en démembrant une autre qui, aujourd’hui marche et a trouvé son point d’équilibre et quelque part son identité, ça me paraît très discutable. »
Et la Loire dans tout cela ? Sa partie aval se retrouverait scindée en deux segments. « Une partie du corridor ligérien se reconstituerait sans l’estuaire, observe le géographe Christian Pihet, de l’université d’Angers. Ce qui pose un énorme problème. Parce qu’il y a quelque chose d’important, de métropolitain avec Nantes-Saint-Nazaire, qui a des débouchés sur l’intérieur du territoire national. »
Une des hypothèses propose que, en cas de rattachement de la Loire Atlantique à la Bretagne, les Pays de la Loire soient fondus dans deux régions : Nouvelle-Aquitaine et Centre Val-de-Loire. | INFOGRAPHIE OUEST-FRANCE
Besoin de trancher le débat
Alors quel scénario alternatif pour les départements orphelins des Pays de la Loire ? Il faut reconnaître que la question n’encombre pas le débat public sur la réunification, pas davantage que le sort des 63 % d’habitants ligériens restant (à peine 2,361 millions sur quatre départements). L’éventuel référendum, que de nombreux élus et collectivités appellent de leurs vœux depuis ces derniers mois, ne prévoit pas de leur donner la parole, du moins dans un premier temps. Que la Bretagne réunifiée ait pour conséquence l’amputation des Pays de la Loire n’est clairement pas considéré comme un aspect prioritaire de la question.
Certains souhaitent imposer un référendum pour définitivement trancher le débat. C’est ce que pense Florian Le Teuff, adjoint à la maire de Nantes, délégué aux enjeux bretons. Aux dernières municipales, il figurait sur la liste écologiste et citoyenne. Au sein de la nouvelle majorité municipale, il milite pour la tenue d’un référendum qui aurait une « valeur décisive ».
Florien Le Teuff milite pour la tenue d’un référendum. | LOUISE PAHUN
Après deux premières victoires – l’installation d’un drapeau breton devant la mairie de Nantes et le vote d’un vœu en faveur d’un référendum – il va maintenant piloter l’instance « plurielle » qui va organiser la concertation avec l’État afin de définir les modalités concrètes du référendum. Car tout reste encore à définir : le périmètre de la consultation, la date du scrutin, la question posée. Florian Le Teuff n’imagine pas que le référendum se limite à la Loire-Atlantique. « On ne peut pas se passer de l’avis des citoyens des autres départements », affirme-t-il.
Le Parlement serait amené à participer au processus. D’abord pour voter la loi organisant le référendum. Ensuite, pour voter la loi entérinant le redécoupage des régions. L’association Bretagne réunie objecte que seule une consultation des électeurs est juridiquement possible, et non un référendum décisionnel. Florian Le Teuff ne partage pas cet avis. Il s’appuie sur la loi constitutionnelle de 2003. Celle-ci dispose, dans son article 72-1, que « la modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs, dans les conditions prévues par la loi ».
Certains proposent un référendum pour trancher définitivement le débat. | ARCHIVES
Le risque de la marginalisation des départements
Pour que les habitants puissent se prononcer, encore faut-il savoir quels scénarios pourraient être envisagés. « Il existe des solutions pour les départements pris isolément », tempère Arnauld Leclerc. Maine-et-Loire, Sarthe et Mayenne pourraient ainsi rejoindre la région Centre Val-de-Loire. Et la Vendée pourrait se marier avec le Poitou-Charentes et une Nouvelle Aquitaine qui s’étend déjà jusque à Biarritz sur douze départements… et aurait pour capitale régionale Bordeaux. « Si chacun se rattache à une autre région, il récupère une capacité d’intervention, mais devient complètement excentré ailleurs et, quelque part, marginalisé. »
Une option que préconisent toutefois, eux aussi, des Bretons favorables à une Bretagne à cinq. Une façon de prendre en compte l’ensemble du problème et de répondre au reproche, qui leur est fréquemment retournée, de se laver les mains du devenir des quatre départements « abandonnés ».
Il nous faut inventer le bon processus démocratique pour que les citoyens puissent donner leur avis, et que celui-ci soit respecté.
— Florian Le Teuff, adjoint à la mairie de Nantes
On ne sait pas encore ce que l’on pense de ce scénario, dans les quatre départements concernés, où la question ne mobilise pas le même engouement militant qu’en Loire-Atlantique. Les concernant, aucun référendum n’est pour l’instant à l’ordre du jour. À défaut, c’est un sondage, que suggère la jeune association A la Bretonne, qui a lancé une cagnotte à cet effet.
Il y a parfois eu, dans ces départements, des velléités « sécessionnistes », en particulier en Sarthe. Et le 28 avril 1973, la page Région d’Ouest-France titrait : « Le conseil général de la Sarthe demande à quitter les Pays de la Loire pour la région du Centre ! » Plus récemment, le Sarthois Jean-Pascal Gayant, professeur de sciences économiques à l’université du Mans parlait dans Ouest-France d’une région « fourre-tout » et « mal-née » dont le « possible démantèlement » serait « très largement souhaité ».
Un référendum suffira-t-il à mettre fin à cette région décriée ? Le précédent de la consultation sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes incite à une certaine prudence. 55 % des électeurs du département de Loire-Atlantique s’étaient prononcés en faveur du transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique. Mais l’État a finalement pris la décision inverse. Et enterré le projet de Notre-Dame-des-Landes. Bien conscient des difficultés, Florian Le Teuff affirme : « Il nous faut inventer le bon processus démocratique pour que les citoyens puissent donner leur avis, et que celui-ci soit respecté. »
ENTRETIEN. La Bretagne à cinq départements ? « Une revendication à caractère identitaire »
Que recouvre la revendication de réunification de la Bretagne ? Que nous dit-elle de la société où nous vivons ? André Rousseau, docteur en sociologie, chercheur associé au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), propose son décryptage. Quatrième épisode de notre série sur le débat autour de la réunification de la Bretagne.
Depuis une cinquantaine d’années, des militants réclament la réunification de la Bretagne avec le retour de la Loire-Atlantique dans la région. Des manifestations viennent parfois soutenir ces revendications (comme ici à Nantes, en 2014). | OUEST-FRANCE
À quelques semaines des élections régionales, le débat sur la réunification de la Bretagne est relancé. Depuis cinquante ans, des militants souhaitent voir la Loire-Atlantique rejoindre les quatre départements bretons. Le sociologue André Rousseau, docteur en sociologie, chercheur associé au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), a analysé les phénomènes identitaires en Bretagne. Il livre son interprétation de ces revendications.
À quand remonte cette revendication de réunification de la Bretagne ?
La Révolution de 1789 a supprimé les anciennes provinces au profit des départements. Les premiers débats sur la régionalisation du territoire français datent de la période de l’entre-deux-guerres. En 1941, le gouvernement de Vichy crée des préfectures de région. Le département de la Loire Inférieure (qui deviendra plus tard la Loire-Atlantique) est alors rattaché à la région administrative d’Angers.
André Rousseau est docteur en sociologie. Il s’intéresse aux phénomènes identitaires en Bretagne et dans le catholicisme. | DR
Depuis lors, ce schéma d’une région Bretagne réduite à quatre départements a prévalu…
Effectivement, il n’a été revu ni lors de la naissance des régions économiques de programme en 1955, ni lors de la création des régions administratives en 1964, ni lors du vote des lois de décentralisation à partir de 1981. Cette situation a été maintenue en 2015, lors du redécoupage des régions. Les Bretons – du moins une partie des élus – ont alors refusé de se fondre dans une région Grand Ouest. Ils se sont manifestés bruyamment, Jean-Yves Le Drian le premier, avec l’argument qu’une union avec les Pays de la Loire serait le « mariage de la carpe et du lapin », les Pays de la Loire n’ayant ni culture, ni identité !
Pourquoi ce refus de s’intégrer à une région Grand Ouest ?
Lors du redécoupage proposé par François Hollande, Pierrick Massiot, le président de la région Bretagne (entre 2012 et 2015), a publié dans la presse régionale une lettre ouverte où il prenait à témoin les habitants de la Bretagne. On y lisait entre autres : « A qui voudrait-on faire croire que, pour être modernes, il faudrait renoncer au nom de Bretagne, se privant ainsi d’un porte-drapeau, formidable atout pour la conquête de marchés nouveaux, vecteur d’affirmation dans le monde entier ? » Ce paragraphe est saturé d’idées-forces de ce qu’est devenue « l’idée bretonne » : un mixte d’ambition économique et de culte de l’identité. Les socialistes bretons ont institutionnalisé cette idée. Ce qui unifie les politiques publiques de la région est « l’attractivité du territoire ». Avoir une identité, une culture, c’est un gage d’efficacité économique. Ce thème est récurrent depuis que les socialistes détiennent le pouvoir à la Région Bretagne.
En décembre 2020, le drapeau breton prend place dans la cour de l’hôtel de ville de Nantes. Un acte symbolique pour les partisans de la réunification de la Bretagne. | DR
Comment la cause de la réunification est-elle devenue populaire à Nantes ?
Il a fallu pour cela que l’action associative des Bretons devienne assez puissante pour se manifester à travers la musique, la danse, la langue. La présence bretonne à Nantes résulte pour partie d’une immigration pour le travail et pour partie d’un déplacement de jeunes pour les études. C’est dans les années 1960 que les universités se sont développées et qu’une masse importante de jeunes Bretons a fait des études à Nantes. Nantes est un mélange de gens d’origines diverses. Mais les Bretons y sont actifs et se font entendre. Ils ont le don de s’organiser. Des manifestations pour la réunification ont eu lieu régulièrement à Nantes. En 2014, près de 30 000 personnes, qui n’étaient pas seulement de Nantes, ont ainsi défilé en faveur du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne administrative.
Ce qui s’exprime à travers cette demande, c’est une vision de l’histoire et de la société ?
Sur le plan historique, il est incontestable que Nantes et son hinterland faisaient partie du duché de Bretagne. Derrière la revendication de reconstitution du territoire du duché, il y a cette idée-force qu’une culture, une langue et l’histoire du peuple doivent être respectées. Et que c’est cela – et d’abord cela – qui forme les entités régionales.
Même le Rassemblement national revendique la réunification. Il y a sans doute pas mal d’opportunisme.
— André Rousseau, sociologue
La revendication de réunification est donc identitaire ?
Tout à fait. Ainsi, l’affaire de la langue bretonne à Nantes, comme d’ailleurs à Rennes, est plutôt étrange sur le plan historique. On n’a quasiment jamais parlé le breton à Rennes. Et à Nantes, on l’a peu parlé, sinon avec l’immigration des Bas-Bretons. Mais la langue est un aspect essentiel de l’identité. Un territoire historique est déterminé normalement par une langue. D’où la nécessité pour le rendre évident d’y rendre visible la langue. C’est à cette fin que la signalétique rennaise est devenue bretonne. Faute de parler le breton, on en parle et on en fait parler. Démographiquement, il est pourtant bien probable que, d’ici 2040, le nombre de locuteurs du breton sera de 60 000, contre 207 000 aujourd’hui, malgré le soutien du conseil régional de Bretagne, ou pour certains, à cause de la mollesse de ce soutien.
Quelles forces portent cette revendication de réunification ?
Des associations militent de longue date pour la réunification, comme Bretagne réunie et Europa Breizh. Des médias participatifs comme l’Agence Bretagne Presse ou NHU, acronyme de Ni Hon-Unan (« Nous-mêmes », en français), sont aussi très actifs. Sur le plan politique, en Bretagne, hormis à l’extrême-gauche, tous les partis, de l’extrême droite à la gauche, entonnent le discours de l’identité bretonne. Même le Rassemblement national revendique la réunification. Il y a sans doute pas mal d’opportunisme. La droite ne veut pas laisser le monopole du régionalisme aux socialistes qui ont enfourché ce cheval dès les années 1970.
ENTRETIEN. « La Bretagne à cinq est une évidence, elle a tout pour réussir »
Le géographe Jean Ollivro donne ses arguments en faveur d’une réunification de la Bretagne. Ils sont historiques, économiques, sociologiques… Troisième épisode de notre dossier sur la réunification de la Bretagne.
La sélection
Les panneaux Breizh 5/5, symbole du militantisme des communes qui souhaitent la réunification de la Bretagne. | ARCHIVES
Jean Ollivro est un géographe breton. Il milite de longue date pour le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Il développe des arguments évidemment géographiques mais s’avance aussi dans le domaine économique et culturel. Il a répondu aux questions de Ouest-France.
Vous êtes géographe et vous êtes connu pour vos arguments favorables à une Bretagne à cinq. Vous parlez de cette Bretagne réunie comme d’une « évidence ». C’est-à-dire ?
Dans le fait d’aborder la Bretagne, on a une évidence historique qui est flagrante. Depuis le traité d’Angers de 851 (où Charles le Chauve reconnaissait Erispoë pour roi de Bretagne) ! Mais il y a aussi des évidences économiques sans parler des limites presque naturelles de la péninsule. Chaque point de cette presqu’île a une proximité maritime. On a une identité géologique et paysagère avec des terres schisteuses et granitiques, ainsi qu’un paysage de bocage unique, abîmé dans les années 1950 et 1960, qui s’étend jusqu’au Cotentin.
Jean Ollivro (au premier plan), est un géographe breton qui développe des arguments en faveur de la réunification de la Bretagne. | ARCHIVES OUEST-FRANCE
Une évidence économique ? Parlez-vous d’hier ou est-ce encore une évidence aujourd’hui ?
La porte de la Loire fut toujours la principale porte de rayonnement de la péninsule. La Loire-Atlantique représente 30 % de l’économie bretonne. C’est un effet de taille pour devenir une grande région européenne, avec bientôt près de cinq millions d’habitants. Un chiffre symbolique. Il y a bien sûr le réseau d’entreprises Produit en Bretagne, mais ça va plus loin. Quand on voit les exportations du port du Nantes, elles viennent pour une grande part de l’agroalimentaire, six millions de tonnes. Cet agroalimentaire vient de Bretagne.
Parmi les arguments des opposants, il y a l’idée que la réunification marginaliserait le Finistère. Qu’en pensez-vous ?
Ces personnes oublient que c’est à partir du moment où nous avons rompu avec les dynamiques maritimes que le Finistère s’est relativement marginalisé. Relativement, j’insiste… Toute la Bretagne reste attractive. On va gagner 400 000 à 500 000 habitants d’ici 2040-2050. La Bretagne n’a pas un problème d’attractivité mais d’équilibre de classes d’âges. Si on reprend l’histoire, Brest était deux à trois plus peuplée que Rennes en 1870. L’Ille-et-Vilaine n’a dépassé le Finistère en nombre d’habitants qu’au début des années 2000.
La polarisation à l’est a commencé quand la Bretagne s’est éloignée d’une organisation maritime, extrêmement forte au XVIIe par exemple. Elle a commencé par les réseaux terriens et l’arrivée du chemin de fer. Il faudrait aussi parler d’un l’âge d’or de la Bretagne du XVe au XVIIe, alors qu’elle a vécu un XIXe catastrophique du point de vue économique, qui a créé de l’exode. Ce qui a entraîné une marginalisation progressive de la Basse-Bretagne.
Une des hypothèses propose que, en cas de rattachement de la Loire Atlantique à la Bretagne, les Pays de la Loire soient fondus dans deux régions : Nouvelle-Aquitaine et Centre Val-de-Loire. | INFOGRAPHIE OUEST-FRANCE
Peut-on parler de singularités partagées par ces cinq départements ?
L’évidence économique est aussi là pour retrouver une organisation propre à la Bretagne. Il y a des dynamiques entre la terre et la mer, entre l’Armor et l’Argoat, entre le numérique, les énergies, le maritime, les ressources propres et des liens pour l’export… Il y a les singularités sociologiques comme un réseau de 250 entreprises de taille intermédiaire (ETI), plus nombreuses que dans le reste de la France. On a énormément de PME, PMI [petites et moyennes industries, N.D.L.R.], TPE. Pour l’économie sociale et solidaire, on est à 4 points de plus qu’en France.
Nous avons des pratiques sur les cinq départements qui construisent un fort maillage associatif. Avec 1 280 associations de solidarité internationale, nous sommes la première région de France dans ce domaine. On a un esprit breton qui est réel et qui se maintient. Enfin, il existe un sentiment d’appartenance non démenti, même en Loire-Atlantique. C’est important pour la notion d’engagement, pour réaliser la modernisation des territoires et la bifurcation écologique. Il y a des défis à relever en Bretagne.
Par exemple, pour les cinq départements, nous importons 70 % de l’énergie que nous consommons. Il y a donc 70 % de parts à prendre plutôt que de construire une usine à gaz à Landivisiau… Il faut avoir une vision du territoire breton, qui a une richesse incroyable, des gens bosseurs. Nous avons tout pour réussir : une identité culturelle et sociale. Le rôle de la culture est crucial.
On a des Montoir-de-Bretagne, Le Temple-de-Bretagne, La Meilleraye-de-Bretagne etc. Et on nous dit qu’on est dans les Pays de la Loire ?
— Jean Ollivro, géographe breton
Parlons aussi de l’image. C’est important ou pas ?
Au niveau économique, c’est très important. Actuellement, nous sommes dans un bazar invraisemblable ! On parle parfois d’un « ouest », qui est une appellation catastrophique.
Les choses continuent d’avancer pour la Bretagne unie. N’oublions pas que depuis 1804, la cour d’appel de Bretagne compte les cinq départements. Ça n’a jamais changé et les avocats ont une identité bretonne forte. Oui, il y a la notion de marketing et d’image : le mot Bretagne est bien plus porteur que le mot Pays de la Loire. Un exemple : Nantes qui avait débaptisé son château en château des ducs a repris l’appellation château des ducs de Bretagne, simplement parce que la fréquentation était en baisse.
Globalement, on ne peut pas aller contre une culture alors que la réalité bretonne est inscrite en Loire-Atlantique : on a des Montoir-de-Bretagne, Le Temple-de-Bretagne, La Meilleraye-de-Bretagne etc. Et on nous dit qu’on est dans les Pays de la Loire ?
La Bretagne à cinq, c’est une visibilité renforcée pour s’affirmer comme une grande région européenne, pour des appels à projet, faire du lobbying et lutter contre l’hypercentralisme français. L’évidence, c’est Nantes en Bretagne.
« Nantes qui avait débaptisé son château en château des ducs a repris l’appellation château des ducs de Bretagne, simplement parce que la fréquentation était en baisse » Jean Ollivro, géographe. | ARCHIVES
Un des arguments des opposants à la réunification est celui de sa capitale qui créerait une concurrence entre Nantes et Rennes. Que répondez-vous ?
C’est l’occasion d’avoir plusieurs capitales et des éléments de rééquilibrage comme au Pays-Bas avec La Haye, ou l’Écosse avec Edimbourg. On le voit en Allemagne où les activités boursières sont à Francfort et non à Berlin. On peut fonctionner en réseau. La capitale ? C’est un faux problème. Réfléchissons au maillage des villes moyennes de la Bretagne. Et ne faisons pas un Toulouse et un désert toulousain.
L’unité de la Normandie est passée comme une lettre à la Poste. Un commentaire ?
Aujourd’hui quelqu’un qui parlerait de haute et basse Normandie semblerait sortir d’une armoire du XIXe ! C’est exactement cela. Le débat sur la capitale normande, plus personne n’en parle ! J’ai regardé l’évolution des marques. Il y a cinq ans, on avait 43 marques de Basse Normandie et une soixantaine de Normandie. Depuis la création de la Région Normandie, on a 800 marques. C’est un sacré coup de booster.
Revenons sur le projet du Comité Balladur, composé de gens de droite et de gauche, qui avant la création des régions actuelles en 2014, fait une proposition avec trois régions : Bretagne, Val-de-Loire et Normandie. Puis, il y eut le 2 juin 2014 et « une réforme élaborée sur un coin de table à l’Élysée », ainsi que l’écrit la presse dans les jours qui suivent…
Ce comité ne peut être taxé de partialité ! Sa proposition était simple avec un Val-de-Loire classé au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est une appellation qui associe vignobles et châteaux, donc une bonne image touristique, qui correspond bien à des villes comme Tours, Angers, Saumur. C’est une réalité territoriale qui s’est exprimée depuis longtemps.
Or, cela a été changé à la dernière minute en juin 2014. D’abord parce que Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre avait encore un pouvoir considérable. Il a d’abord voulu créer une fusion Pays de la Loire et Bretagne. Puis, il y a eu l’intervention de Le Drian et le statu quo Bretagne et Pays-de-la Loire. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Et bien, on a comme une sorte de doublon qui ne tient pas debout : une région Centre Val-de-Loire et une région Pays-de-la Loire. Je ne reviens pas sur l’étymologie du nom Pays de la Loire qui, jusqu’aux années 1930, est surtout associée au pays du Forez et de Saint-Etienne… Sans parler des gens du Mans qui ne vont jamais à Nantes !
Vous dites aussi que cela a entraîné des fiascos. Quels exemples avez-vous ?
Le centre de sécurité maritime de l’Europe, une instance hyperstratégique promise à la Bretagne. Bretagne et Pays de la Loire se sont déchirés pour l’avoir. Brest et Nantes idem. Résultat, il est parti à Lisbonne. Il y a aussi le fiasco de l’Université Bretagne-Loire. Le fiasco des équipements aéroportuaires avec la proposition d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, sans liaison ferroviaire initiale.
Alors ? Pensez-vous que la réunification se fera ?
Le fait est que nous n’avons pas le pouvoir de décision. Nous sommes avec une Bretagne un peu ratatinée à quatre départements. Est-ce que la réunification se fera ? Je dirais que oui. Parce qu’il est difficile d’aller contre une évidence. Il y a une nécessité de retrouver l’âme des lieux, le souci écologique aidant.
Durant la Seconde Guerre mondiale, un chat avait la réputation d’être insubmersible, car il avait survécu aux naufrages des 3 navires sur lesquels il avait servi. Des milliers d’hommes avaient perdu la vie lors de ces attaques, mais Sam s’arrangeait toujours pour trouver un morceau flottant et y attendre qu’on le récupère.
Le site I Iz Cat nous raconte l’incroyable histoire de Sam le chat, un animal entré dans la légende en ayant « changé de camp » durant la guerre et surtout en ayant été sauvé à 3 reprises après autant de naufrages. Il avait commencé le conflit côté allemand et terminé chez les Anglais.
Au départ, il avait été élevé par un membre d’équipage inconnu du cuirassé allemandBismarck. Sam se trouvait donc à bord du fleuron de la marine de guerre nazie le 18 mai 1941, quand il a levé l’ancre pour lancer l’opération « Rheinübung ». Cette dernière consistait, pour le Bismarck, à attaquer les convois alliés dans l’océan Atlantique. Elle a pris fin lorsque le puissant cuirassé a été coulé 9 jours plus tard par la flotte britannique.
Le Bismarck comptait 2200 marins à bord ; seuls 118 ont survécu. Tout comme Sam, qui a été retrouvé quelques heures plus tard sur une planche de bois qui flottait. Il a été repêché par l’équipage du destroyer anglaisHMS Cossack.
Les mois suivant, ce dernier escortait les navires marchands en Méditerranée et dans l’Atlantique Nord. Jusqu’au 27 octobre 1941, soit 5 mois jour pour jour après que le Bismack a sombré. C’est la date à laquelle le Cossack a été coulé à son tour près de Gibraltar, après avoir été touché par une torpille allemande. 139 marins ont péri, et Sam était toujours là. Une fois de plus, il s’est accroché à un morceau flottant et a été récupéré. C’est là qu’il a été surnommé « Sam l’insubmersible ».
Il a été adopté par l’équipage du HMS Ark Royal, porte-avions de la Royal Navy. C’était d’ailleurs celui-ci qui avait précipité la défaite du Bismarck en envoyant ses avions torpilleurs Swordfish l’attaquer.
Le 13 novembre 1941, alors qu’il revenait de Malte, l’Ark Royal a été torpillé par un U-boat (sous-marin) ennemi et a sombré le lendemain. Et comme les fois précédentes, le félin a été retrouvé et secouru.
Après cela, Sam a enfin pu regagner la terre ferme et prendre sa retraite. Il a séjourné à la résidence du gouverneur de Gibraltar, puis a été envoyé en Irlande du Nord où il est resté jusqu’à la fin de ses jours. Sam, le chat insubmersible, s’en est allé paisiblement en 1955.
Son portrait ci-dessous a été réalisé par Georgina Shaw-Baker et se trouve au National Maritime Museum à Greenwich.
Le seul marin à avoir remporté à la fois la Route du Rhum, la Transat anglaise, le Vendée Globe (deux fois) et La Solitaire du Figaro (trois fois), est aussi un témoin privilégié de la voile. Il ne comprend pas pourquoi les bateaux du Vendée Globe refusent les plans porteurs sur les safrans. Desjoyeaux s’exprime aussi sur ses projets, à l’occasion des 50 ans de Voiles et Voiliers…
Michel Desjoyeaux à l’entraînement en Figaro 3 le 24 avril 2019 à Port-la-Forêt. | JEAN-MARIE LIOT
Propos recueillis par Didier RAVON.
Voiles et Voiliers : Toi, qui as toujours été impliqué dans tout ce qui est technologie, quel est ton sentiment sur l’évolution générale de la voile et notamment les foils ?
Michel Desjoyeaux : Déjà, chaque fois que l’on contraint une jauge, les architectes et les marins se débrouillent pour la contourner (rires). Bien sûr, les foils sont arrivés comme une solution… mais je pense que nous sommes encore loin de la panacée. Il va falloir quelques générations avant d’aboutir, et on l’a bien vu sur le dernier Vendée Globe. J’en sais quelque chose, car j’ai eu la chance de travailler sur l’Hydroptère il y a 28 ans. Tout le monde rigolait et se foutait de la gueule d’Alain Thébault. N’empêche, on savait déjà que ces solutions-là allaient marcher. Il a fallu du temps, par rapport aux contraintes de jauge, d’hydrodynamique, de stabilité du vol… et comme le principe du foil est très vieux, ce n’est pas une surprise qu’on arrive à de la haute technologie par rapport à des bateaux de plus en plus légers, puissants et rapides. Un foil n’a de l’intérêt que si ça va vite. Sinon, autant rester flotter en archimédien et tout ira bien…
Contourner des évidences coûte plus cher que faire des évidences
Voiles et Voiliers : Tu as dit que le fait de ne pas avoir de plans porteurs sur les safrans en Imoca, c’était un peu comme un tabouret auquel il manquerait un pied. Tu confirmes ?
Michel Desjoyeaux : Absolument ! Il ne faut pas faire trop cher, pas trop sophistiqué… mais c’est aberrant de vouloir voler sur deux pieds. Contourner des évidences, cela coûte plus cher que de faire des évidences ! Il y a des gens qui ont du mal à comprendre…
Voiles et Voiliers : Si sur ces cinquante dernières années, tu devais sortir quelque chose ayant révolutionné la voile, ce serait quoi ?
Michel Desjoyeaux : Je suis d’une vieille génération [il a 55 ans, ndlr] ! Quand on mettait du Rod (hauban en tige d’acier) sur un gréement, on nous disait « Attention il ne faut pas taper dessus. Ça va casser car c’est super fragile ! » Quelques années après, on a vu arriver des haubans en Kevlar. Là pareil : « Attention, il ne faut pas les plier, il faut les changer tout le temps, et ci et ça… ». Des années après, tu vois des bateaux de croisière avec des gréements en Rod qui n’ont pas bougé. Tu vois d’anciens bateaux de course avec des gréements Kevlar qui depuis vingt ans tiennent toujours… Aujourd’hui, on a des gréements en carbone certes un peu plus lourds, mais dont la traînée aérodynamique est moindre, et on te dit encore : « Attention c’est super fragile ! » Je ne sais pas comment ils vont évoluer dans vingt ans, mais ces matériaux que l’on connaissait déjà il y a cinquante ans, c’est surtout parce qu’en termes de prix, ils sont plus accessibles – même si c’est relatif – qu’ils sont omniprésents. Mais pour moi, c’est surtout l’évolution de la mise en œuvre des matériaux qui a permis de faire beaucoup de gains de poids. Avant, on mettait trop de matière car on ne savait pas la calculer, et on se mettait des facteurs de sécurité partout. Et plus ça allait, moins on mettait de matière… et maintenant on est obligé d’en remettre un peu plus, car comme on va plus vite et qu’on sollicite beaucoup plus les matériaux – je pense aux fonds de coque des Imoca – on fait des bateaux plus lourds. Mais s’il n’y avait pas ces matériaux aujourd’hui, on n’en serait pas là. Il n’y a pas un bureau d’études qui n’espère pas trouver un jour un matériau plus performant que le carbone…
Ce qui a révolutionné la voile, c’est l’évolution de la mise en œuvre des matériaux
Victoire. En 2009, Michel Desjoyeaux remporte le Vendée Globe pour la deuxième fois. Un exploit encore inégalé. | MARK LLOYD
Voiles et Voiliers : As-tu le sentiment que la nouvelle génération a moins de sens marin que les « anciens », et est devenue plus « pilote d’usine » ?
Michel Desjoyeaux : Je ne crois pas. Sur l’eau, ils continuent de regarder les nuages et leur baromètre, et je n’ai aucun doute là-dessus, mais aujourd’hui, les fichiers météo sont tellement « généreux », que tu peux quasiment te passer de voir ce qu’il se passe au-dessus de ta tête. N’empêche, les meilleurs sont ceux qui arrivent à mélanger toutes ces infos. Là où je pense que la jeune génération est en train de se perdre, c’est que dans un sport comme la voile, tu es obligé de rester au contact de la technologie, notamment quand tu bascules sur des séries non monotypes, qui sont le haut du panier. Là, un « pilote d’usine » va pouvoir être performant bien entendu, mais il le sera d’autant plus s’il est leader de son projet… et sur un Vendée Globe, c’est à mon avis la clé pour plus performer. J’ai le sentiment que certains ne sont pas dans cette démarche.
Je travaille dans la propulsion à énergie vélique durable
Voiles et Voiliers : Que fais-tu désormais ?
Michel Desjoyeaux : Je continue à m’occuper notamment [via sa société Mer Agitée, ndlr] de chantiers Imoca, avec Groupe Sétin à la demande de Manuel Cousin, et comme on l’a fait pour Arnaud Boissières (La Mie Câline Artisans Artipôle) pour le dernier Vendée Globe. L’objectif est d’essayer de faire perdre du poids à son bateau pour gagner en performance… sans pour autant s’emporter. On va aussi se séparer de Banque Populaire (ex-SMA, qui est à vendre) mené par Clarisse Crémer lors du dernier Vendée Globe et qui va bientôt avoir un nouveau propriétaire.
Voiles et Voiliers : Mais encore ?
Michel Desjoyeaux : Je travaille dans la propulsion à énergie vélique durable. On est dans la mise en œuvre d’une grande aile avec le laboratoire de Michelin à destination du transport maritime. Je suis à la fois consultant, metteur au point… et un peu ambassadeur. C’est passionnant.
Voiles et Voiliers : La croisière, c’est un domaine sur lequel tu t’investis ?
Michel Desjoyeaux : Oui, car je viens de racheter un Sense 43 qui avait été développé il y a quelques années par Bénéteau pour tester l’aile imaginée par Guy Baup (Matin Bleu). On est en train de le modifier pour installer une aile dans une version totalement automatisée. Ce n’est même plus du presse-bouton. L’aile se déploie toute seule, s’oriente toute seule, se rétracte toute seule. Tu n’as quasiment plus rien à faire. L’idée est d’amener des plaisanciers n’ayant pas spécialement envie de se prendre la tête avec toutes les finesses de réglages des voiles, mais qui veulent naviguer avec le vent plutôt qu’au moteur. ■
> Entretien à retrouver également dans notre numéro spécial anniversaire des 50 ans de Voiles et Voiliers.